L’autre Pénélope 

 

Parmi les oliviers arrive Pénélope  

avec sa tignasse arrangée n’importe comment  

et une jupe du marché  

bleu marine à fleurettes blanches. 

Elle nous explique que ce n’était pas par fixation  

sur l’idée d’“Ulysse”  

qu’elle avait laissé les prétendants, des années,  

à attendre dans l’antichambre  

des secrètes habitudes de son corps. 

Là dans le palais de l’île  

aux horizons fabriqués  

d’un amour douceâtre  

et l’oiseau de la fenêtre  

qui conçoit seulement cela : l’infini  

elle avait dessiné aux couleurs de la nature  

le portrait de l’amour. 

Assis, une jambe sur l’autre 

 tenant une tasse de café 

 matinal, un peu maussade, un peu souriant  

à sortir chaud des duvets du somme. 

Son ombre sur le mur  

marque d’un meuble qu’on vient juste d’enlever  

sang d’un meurtre ancien  

unique représentation de Karaghiosis  

sur la toile, derrière lui toujours la douleur. 

Inséparables l’amour et la douleur  

comme le seau et le tout petit sur la plage  

le “ah !” et un cristal qui a glissé des mains  

la mouche verte et l’animal tué  

la terre et la pelle  

le corps nu et le drap en Juillet. 

 

* 

Et Pénélope qui entend à présent  

la musique suggestive de la peur  

les percussions de l’abandon  

le doux cantique d’un jour paisible  

sans brusque changement de temps et de ton  

les accords compliqués  

d’une infinie gratitude  

pour ce qui n’a pas été, ce qui n’a pas été dit, ce qui n’est pas dit,  

fait signe que non, non, pas d’autre amour  

pas d’autres paroles et susurrements  

effleurements et morsures  

petites voix dans les ténèbres  

effluve de chair qui brûle à la lumière. 

La douleur était le prétendant le plus distingué  

et elle lui a fermé la porte. 

 

Katerina Anghelaki-Rooke, Ωραία έρημος η σάρκα, 1996 

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