Tant de troupeaux ont défilé, tant de pauvres
Et riches cavaliers – certains,
Venus de villages distants, avaient passé
La nuit dans des fossés,
Allumé des feux contre les loups. Vois-tu la cendre ? Plaies rondes et noires, cicatrisées.
Il est couvert de cicatrices, comme la route. Plus loin, dans le puits sec, on jetait
Les chiens enragés. Il n’a pas d’yeux, il est couvert
De cicatrices, il est sans poids : le vent souffle.
Il ne distingue rien, il sait tout,
Gaine vide de cigale sur un arbre creux.
Il n’a pas d’yeux, pas même aux mains, il connaît
L’aube et le crépuscule, il connaît les étoiles
Leur sang ne le nourrit pas, il n’est pas même
Un mort, il n’est d’aucune race, il ne mourra pas.
On l’oubliera ainsi, sans lignée.
Les ongles fatigués de ses doigts
Tracent des croix sur des souvenirs corrompus
Tandis que souffle le vent désordonné. Il neige.
J’ai vu le givre autour des visages
J’ai vu les lèvres humides, les larmes gelées
Au coin des yeux ; j’ai vu le pli
De la douleur près des narines et l’effort
Dans les racines de la main ; j’ai vu le corps trouver sa fin.
Cette ombre n’est pas seule, rivée à ce bâton qui ne fléchit jamais,
Et ne peut même pas se baisser pour s’étendre.
Le sommeil émietterait son squelette
Entre les mains des enfants en train de jouer.
Il commande comme ces branches mortes
Qui se cassent quand la nuit tombe et que le vent
S’éveille dans les vallées,
Il commande aux ombres des hommes,
Non à l’homme dans son ombre
Qui n’entend que les voix basses
De la terre et de la mer là où elles rencontrent
La voix du destin. Il se tient tout droit,
Sur la rive, parmi des meules d’ossements,
Parmi des tas de feuilles mortes,
Cageot vide attendant
L’heure du feu.