Giannis Ritsos a écrit 16 des 18 λιανοτράγουδα της πικρής πατρίδας (18 Menues-Chansons de la Patrie amère) en 1968, alors qu’il se trouvait en déportation – une fois de plus ! Au moment de la Junte, il refusa de se cacher, et en accepta les conséquences.
Le but de ces petits textes était que son ami Theodorakis les mette en chansons – ce qui fut fait… et Ritsos ne voulait pas qu’on les traduise – ce qui ne fut pas fait. Devant l’avalanche de transpositions dans plusieurs langues (40 à ce jour), il finit par donner son accord.
Elles ont été chantées d’abord par les artistes exilés pendant la Junte, puis en Grèce à la chute de la dictature.
De paroles pauvres ils se baptisent dans l’amertume et dans les pleurs
oiseaux à tire d’aile ils s’envolent et ils chantent
*
Et ce verbe caché de la liberté, ce verbe
au lieu d’ailes tire l’épée et fend les airs.
◊
Cyclamen, cyclamen aux déchirures du roc
où as-tu trouvé des couleurs pour fleurir, où une tige pour frémir ?
*
À l’intérieur du roc j’ai ramassé le sang goutte à goutte
j’en ai tissé, rose, mon foulard et à présent je cueille du soleil.
◊
Ainsi avec l’attente les nuits ont grandi
où le chant s’est enraciné et élevé comme un arbre
*
Et les emprisonnés, et au loin tous les exilés
poussent une amère plainte : naît une feuille de peuplier.
Petit peuple qui combat sans épées et sans balles
pour le pain de tout le monde pour la lumière et le chant
*
Sous sa langue il retient gémissements et vivats
et s’ils se met à les pousser ils fendent les rochers.
◊
Dans un coin se tient le grand-père dans l’autre dix petits-enfants
et sur la table neuf bougies plantées dans la miche de pain.
*
Des mères s’arrachent les cheveux et les enfants se taisent
et par le fenestron la Liberté regarde et elle soupire.
◊
Toute grâce toute lumière petite aube printanière,
qui a des yeux, qu’il te regarde et te dise « bienvenue »
*
Deux charbons dans l’encensoir et deux fèves d’encens
et une croix de suie au linteau de la patrie.
◊
Respectueux et taciturne il admirait la Création
et l’épée l’a foudroyé et comme un lion il a rugi.
*
Maintenant ne lui suffisent plus la voix ni la malédiction
pour parler juste il lui faut le fusil.
◊
Jour vert éclatant de lumière beau versant jonché
de myrtes et coquelicots, de bêlements et de sonnailles
*
La fille fabrique son trousseau et le jeune fabrique des paniers
et les boucs le long de l’eau paissent le sel blanc.
◊
Sous les peupliers, de compagnie, oiseaux et capetanios
avec le Mai ont commencé la célébration.
*
Les feuilles luisent, cierges sur l’aire de la patrie,
et de là-haut, un aigle lit l’Evangile.
◊
Ce très peu d’eau du rocher consacrée par le silence
par l’affût de l’oiseau, l’ombre du laurier,
*
En cachette la boivent les maquisards et ils lèvent la tête
comme le moineau et bénissent leur mère pauvre, la Grèce.
◊
Petit oiseau de rose attaché d’un brin de fil
avec ses ailes frisottées qui volette dans le soleil
*
Si tu le regardes une fois il te sourira
si tu le regardes deux ou trois tu commenceras la chanson.
◊
Sur le rivage des jeunes filles maigres ramassent le sel,
très courbées, très amères – elles ne regardent pas la mer
*
Une voile, blanche voile, leur fait signe dans l’azur
et de ce qu’elles ne l’ont pas remarquée, elle noircit de chagrin.
◊
La chapelle blanche sur le versant bien face au soleil,
de sa petite fenêtre étroite fait feu
*
Et sa cloche attachée haut dans le platane,
elle l’accorde toute la nuit pour la fête de Saint Peuple.
◊
Le Brave qui est tombé la tête haute
la terre humide ne le recouvre pas, le ver ne le touche pas
*
La croix : une aile dans son dos et il s’élance toujours plus haut
et se joint aux aigles puissants et aux anges dorés.
◊
Sur ces marbres ici la mauvaise rouille ne tient pas
ni la chaîne aux pieds du Grec – et du vent.
*
Ici la lumière, ici le rivage, langues d’or et d’azur,
sur les rochers des cerfs tranchent et mâchent les fers.
◊
Cette maison comment la construire, les portes, qui les mettra,
quand il y a si peu de bras et que les pierres sont écrasantes ?
*
Ne t’en fais pas : au travail, les bras se font plus forts et nombreux
et n’oublie pas : toute la nuit, les défunts nous aident aussi.
◊
Ici se taisent les oiseaux, les cloches se taisent aussi
et le Grec avec ses morts lui aussi se tait.
*
Et sur la pierre du silence il aiguise ses griffes,
solitaire et sans aide, voué à la liberté.
◊
Ne pleure pas la grécité, quand elle va plier,
le couteau dans l’os et la laisse au cou,
*
La revoilà qui s’élance et se renforce et se déchaîne,
et harponne le fauve du harpon du soleil.